Les stratégies actuelles visent à mieux connaître les écosystèmes forestiers pour anticiper les risques liés au changement climatique ainsi qu’à faire évoluer les peuplements en place tout en conservant une gestion souple et adaptable.

Les signaux d’alerte sont sans équivoque. Hausse des températures, sécheresses accrues, multiplication des ravageurs et recrudescence d’événements climatiques extrêmes, provoquent des dépérissements dans les forêts françaises. Bien que les arbres disposent de mécanismes naturels d’adaptation, ces capacités se révèlent aujourd’hui insuffisantes pour suivre le rythme de ces bouleversements. L’écosystème forestier évolue désormais sous contrainte, certains biotopes se montrant plus résilients que d’autres, sans que les trajectoires d’évolution puissent être précisément anticipées à l’échelle du siècle. En France, de nombreuses essences se situent déjà en limite d’aire de répartition. Les changements en cours entraîneront donc des modifications majeures dans la composition des peuplements forestiers.

Or, les forêts se trouvent au croisement d’enjeux écologiques, économiques, sociaux et climatiques. Elles contribuent à la régulation du climat, notamment par leur capacité de stockage du carbone, abritent une biodiversité riche et fournissent des ressources renouvelables essentielles. Espace de loisirs, de travail et de recherche, la forêt concerne une grande diversité d’acteurs : État, collectivités, propriétaires privés, professionnels de la filière forêt-bois, chercheurs et usagers.
C’est pourquoi, des stratégies nécessitant une approche collective sont progressivement mises en place pour préserver la vitalité des forêts et leurs fonctions essentielles.

Carte de compatibilité climatique pour Abies Alba, selon les 3 indicateurs IKS, actuellement et pour un scénario RCP 4.5 modèle moyen à l'horizon 2050.
Légende : Carte de compatibilité climatique pour Abies Alba, selon les trois indicateurs IKS, actuel et pour un scénario RCP 4.5 modèle moyen à l'horizon 2050. Ces cartes de compatibilité climatique sont basées sur une représentation simplifiée du climat (les trois indicateurs IKS), ainsi que sur des seuils statistiques établis à partir des données de présence des espèces.
© ClimEssences (https://climessences.fr/).

Renforcer l’observation et le suivi des forêts

Il n’existe pas de solution unique pour renforcer la résilience des forêts françaises face au changement climatique, car les peuplements existants sont très variés. La connaissance fine des caractéristiques de chaque forêt et la compréhension des mécanismes en jeu au cœur de l’écosystème forestier sont donc essentielles pour orienter au mieux les futurs choix de gestion.
De nombreux réseaux ont été développés pour obtenir un maximum de données de terrain et suivre régulièrement l’évolution des milieux forestiers. Ces réseaux produisent deux types d’information.
D’un côté, des données d’observation représentatives statistiquement de l’ensemble des forêts françaises. Elles sont principalement produites par deux réseaux : 

  • Le réseau 16 x 16 km des placettes du Département de la santé des forêts (DSF), référent sur les problématiques sylvosanitaires. Il suit notamment l’évolution en temps réel des bioagresseurs.

Site du département de la Santé des Forêts (MASA-DSF)

  • Le réseau de placettes de l’inventaire forestier national, réalisé par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) qui collecte chaque année des données sur les types de peuplements forestiers, les arbres, les conditions stationnelles (pente, exposition, sol...), etc. Depuis 2006, des nouveaux critères sanitaires (mortalité des branches, déficit foliaire…) ont été progressivement ajoutés.

Site de l'Inventaire forestier national IGN

De l’autre, des données plus spécifiques issus d’organismes de recherche fortement instrumentés ou de suivis intensifs mais non représentatifs: sur une essence, un territoire particulier, sur les processus physico-chimiques du milieu forestier et le fonctionnement de cet écosystème dans son ensemble. On peut en citer quelques-uns.

  • Le réseau Renecofor, opéré par l’ONF et constitué de 102 sites permanents répartis dans des forêts publiques de l’hexagone, pour détecter et mieux comprendre les évolutions dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers, à travers leurs différentes composantes (arbres, sol, atmosphère, diversité végétale), en réponse aux changements environnementaux.

    Schéma « Les composantes de l'écosystème forestier ». Source : ONF/ Renecofor. Crédit : © Taïna Cluzau.
    Schéma « Les composantes de l'écosystème forestier ».
    Source : ONF/ Renecofor. Crédit : © Taïna Cluzau.

    Page de présentation du réseau Renecofor

  • Le réseau ANAEE (Analyse et Expérimentation sur les Écosystèmes) qui fournit des dispositifs permettant de manipuler des écosystèmes en conditions plus ou moins contrôlées ou in situ ainsi que des technologies pour enregistrer des variables relatives aux organismes biologiques, au sol et à la biodiversité ainsi qu’aux flux de matière et d’énergie. Certains projets du réseau consistent par exemple à étudier l’impact de sécheresses plus ou moins sévères ou les conséquences du tassement des sols forestiers.

    Le dispositif Azerailles - Clermont en Argonne est dédié à l'étude de l'impact du tassement en milieu forestier sur la régénération, les cycles biogéochimiques et la biodiversité. Les sites sont lourdement instrumentés pour le suivi à long terme des gaz du sol, des flux d'eau et d'éléments majeurs entre les différents compartiments de l'écosystème (lysimètres à différentes profondeurs, sondes d'humidité et température...). Crédit : © Christophe Bailly, Inrae.
    Le dispositif Azerailles - Clermont en Argonne est dédié à l'étude de l'impact du tassement en milieu forestier sur la régénération, les cycles biogéochimiques et la biodiversité. Les sites sont lourdement instrumentés pour le suivi à long terme des gaz du sol, des flux d'eau et d'éléments majeurs entre les différents compartiments de l'écosystème (lysimètres à différentes profondeurs, sondes d'humidité et température...).
    Crédit : © Christophe Bailly, Inrae.

    Page de présentation du réseau ANAEE

  • Quant au réseau ICOS (Integrated Carbon Observation System), il suit la capacité des peuplements forestiers à absorber ou émettre du carbone en fonction des conditions climatiques et des événements extrêmes (sécheresses, tempêtes, canicules). 

    Station ICOS à Saclay. Crédit : © ICOS, Konsta Punkka.
    Station ICOS à Saclay.
    Crédit : © ICOS, Konsta Punkka.

    Page de présentation du réseau ICOS

Depuis les années 2000, la télédétection aérienne est aussi devenue un outil majeur pour compléter les données des réseaux forestiers en permettant une observation continue, homogène et à large échelle des forêts, difficile à obtenir uniquement par relevés de terrain.

Développer l’approche diagnostic à différentes échelles

Dans ce contexte de changement incertain, il devient de plus en plus délicat pour les gestionnaires forestiers de décider des orientations futures de leurs parcelles. Outre les données rendues disponibles par les réseaux d’observation, ils ont désormais besoin d’une connaissance fine de leurs propres terrains pour identifier les meilleurs itinéraires d’adaptation au changement climatique. L’approche diagnostic facilite les prises de décision en dressant un état des lieux de l’existant et en y intégrant au mieux les risques et incertitudes auxquels le forestier doit faire face. Des outils et méthodes simples permettent de suivre l’état sanitaire des peuplements, de connaître les contraintes hydriques, climatiques et édaphiques d’une station ainsi que leurs possibles évolutions. Ce diagnostic doit aussi prendre en compte les enjeux socio-économiques liés à son activité (débouchés, coût, pénibilité du travail, respect de la réglementation, sensibilité du public, etc.). Quelques outils non-exhaustifs, qui sont déjà utilisés en routine en gestion, sont présentés ci-dessous à titre d'exemple.

  • À l’échelle de l’arbre, la méthode Deperis permet de quantifier et d’évaluer le dépérissement des peuplements. Elle propose une évaluation rapide de la situation grâce à une notation simplifiée du houppier des arbres. Elle s’appuie sur deux critères pérennes : la mortalité des branches (MB) pour toutes les essences, et, selon le type d’arbre, le manque de ramification (MR) pour les feuillus ou le manque d’aiguilles (MA) pour les résineux.

    Illustration d'un Chêne sessile de référence (à gauche) et d'un Chêne sessile dégradé (à droite). Crédit : Jérôme Rosa et Sylvain Gaudin © CNPF.
    Houppier bien développé d'un chêne de 25 ans issus d'une régénération naturelle de Chêne sp. (à gauche) et
    dépérissement d'un petit bois de Chêne sp. (à droite).
    Crédit : Jérôme Rosa et
     Sylvain Gaudin © CNPF.

    Page de présentation de la méthode Deperis

  • La méthode ARCHI permet, elle, de diagnostiquer le caractère réversible ou irréversible d’un dépérissement sans être induit en erreur par des symptômes parfois passagers (déficit foliaire, coloration anormale, mortalité de rameaux, etc.). On évite ainsi de condamner prématurément des arbres stressés, qui peuvent parfois se rétablir sans intervention.

    Illustration du double diagnostic de la méthode ARCHI : ontogénique (grande flèche horizontale) et physiologique (cycle). Le schéma illustre le cas des arbres adultes, mais s'applique aussi aux arbres jeunes et matures. Crédit : Christophe Drenou © CNPF.
    Illustration du double diagnostic de la méthode ARCHI : ontogénique (grande flèche horizontale) et physiologique (cycle).
    Le schéma illustre le cas des arbres adultes, mais s'applique aussi aux arbres jeunes et matures.
    Crédit : Christophe Drenou © CNPF.

    Page de présentation de la méthode ARCHI

    Guide d'utilisation de la méthode ARCHI

    Vidéo de présentation de la méthode de diagnostic visuel ARCHI. «Les trois minutes d'AFORCE»

    Retrouvez plus d'informations sur la méthode sur notre page projet ARCHI et celle dédiée aux outils sylvoclimatiques.

  • À l’échelle de la parcelle, BioClimSol, développé par l’Institut pour le Développement Forestier, évalue la vulnérabilité d’un peuplement en croisant ses caractéristiques (essence, état sanitaire) avec celles du sol et du climat local. Il s’appuie sur des cartes de vigilance climatique par espèce, issues d’analyses de dépérissements, et sur un diagnostic de terrain. L’outil est disponible sur le store Google pour Android. Son utilisation nécessite un compte ouvert parle CNPF après formation. De nouveaux modèles doivent être ajoutés régulièrement, car les dépérissements varient selon les régions et les périodes.

    Détermination de l'humus sur une placette BioClimSol de Chêne pédonculé. Crédit : Louis-Adrien Lagneau - CRPF Bourgogne © CNPF.
    Détermination de l'humus sur une placette BioClimSol de Chêne pédonculé.
    Crédit : Louis-Adrien Lagneau - CRPF Bourgogne © CNPF.

    Page de présentation de BioClimSol

    Vidéo de présentation de l'outil BioClimSol et de ses multiples utilisations pratiques. «Les trois minutes d'AFORCE»

    Application Android

    Retrouvez plus d'informations sur BioClimSol sur notre page dédiée aux outils sylvoclimatiques.

  • À l’échelle du pays ou des grandes régions forestières, ClimEssences modélise l’aire de compatibilité climatique des espèces à une échéance de temps donnée en se basant sur les scénarios du GIEC et en utilisant trois facteurs limitants : manque d’eau, excès de froid et manque de chaleur. L’outil propose aussi des fiches pour 150 espèces, décrivant leurs exigences et comportements selon 37 critères, pour aider le forestier à choisir les mieux adaptées.

    Extrait de la fiche de l'Alisier blanc (Sorbus aria) et des différentes rubriques proposées au sein d'une fiche espèce. Crédit : © ClimEssences.
    Extrait de la fiche de l'Alisier blanc (Sorbus aria) et des différentes rubriques proposées au sein d'une fiche espèce.
    Crédit : © ClimEssences.

    Site internet ClimEssences

    Vidéo de présentation de l'utilisation de ClimEssences dans le cadre d’un reboisement suite à un dépérissement. «Les trois minutes d'AFORCE»

Chaque outil  et méthode repose sur des stratégies et des bases de données différentes. Les consulter de façon croisée permet d’obtenir des résultats complémentaires et de mieux cerner les incertitudes avant toute décision de gestion.

Diversifier les pratiques de gestion des peuplements

  • Le renouvellement d’un peuplement  est un moment clef pour adapter la forêt aux changements en cours. Le forestier prépare cette étape dans un itinéraire de gestion tenant compte des contraintes révélées par son approche diagnostic tout en remplissant au mieux ses objectifs (optimisation de la production de bois, préservation de la biodiversité, accueil du public etc.). Lors de la régénération naturelle ou des nouvelles plantations, il sélectionne les essences les plus adaptées[1] au contexte stationnel, un choix qui peut s’accompagner de l’introduction d’espèces ou de provenances potentiellement plus tolérantes aux conditions climatiques futures. La sylviculture en agissant (grâce aux éclaircies) sur la densité, la composition et/ou la structure des peuplements permet de les faire évoluer sur le moyen/long terme afin d’améliorer leur résilience face aux aléas.

    Il n’existe pas un modèle unique de gestion face aux bouleversements climatiques. Chaque itinéraire doit composer avec des contraintes stationnelles, socio-économiques, des incertitudes sur l’évolution du climat et des risques associés et les choix du propriétaire. Ainsi, la diversité des pratiques à l’échelle du paysage apparaît comme un atout pour ne pas mettre tous les peuplements en difficulté en cas d’aléa. Le concept de forêt mosaïque illustre cette approche en misant sur la variété des peuplements et des itinéraires pour répartir les risques.

    Illustration du concept de forêt mosaïque. Crédit : © ONF.
    Illustration du concept de forêt mosaïque.
    Crédit : © ONF.

     

    Le caractère unique de chaque peuplement rend aussi difficile la création d’un guide clef en main pour déterminer les itinéraires de gestion les plus adaptés. Mais des outils et des initiatives de plus en plus opérationnels voient le jour :
    Dans le cadre de l’expertise CRREF, une soixantaine d’initiatives atypiques de renouvellement ont été recensées en France métropolitaine. Alternatives aux plantations monospécifiques denses et régulières après coupe rase, ces démarches offrent un intérêt particulier pour l’adaptation au changement climatique. Un catalogue en ligne, bientôt publié sur le site du RMT Aforce, propose de mettre en lumière les enseignements tirés de ces approches variées, avec leurs avantages et leurs contraintes.

    - Synthèse de l'expertise CRREF

    Des initiatives proches se développent également dans les régions. Par exemple, le projet CISyFE focalisé sur la région Auvergne-Rhône-Alpes propose lui aussi des retours d’expérience permettant aux gestionnaires d’identifier de nouvelles pistes d’adaptation. 

    - Webinaire de présentation des résultats du projet CISyFE

    D’autres réseaux analysent la dynamique de renouvellement et les itinéraires techniques à l’échelle nationale et sur le long terme à l’exemple du réseau post-tempête,  des réseaux RENFOR ou encore le réseau REGEADAPT. À terme, les connaissances acquises grâce aux méthodes testées seront diffusées et donneront naissance à de nouveaux outils d’aide à la décision. 

    Pour en savoir plus

    [1] Conseils d’utilisation des ressources forestières, Inrae
     

  • Au-delà du renouvellement, certains peuplements en place peuvent aussi être orientés dans une optique d’adaptation. Cela peut être envisagé en réponse à des dépérissements, à la suite d’événements climatiques extrêmes, ou de manière proactive pour renforcer la résilience. Il s’agit alors d’agir sur la structure (passage d’un peuplement régulier à irrégulier par exemple), sur les modalités d'intervention (intensité et fréquence des prélèvements, matériels utilisés…) et sur la composition (diversification, enrichissement). Le CNPF décrit de tels itinéraires de transformation par essence.

    Exemple de fiche d’itinéraire technique d’une essence : passage de la futaie régulière vers la futaie irrégulière pour l'Épicéa commun. Crédit : © CNPF.
    Exemple de fiche d’itinéraire technique d’une essence : passage de la futaie régulière vers la futaie irrégulière pour l'Épicéa commun.
    Crédit : © CNPF.
    Zoom sur l'image

    Retrouvez ici les fiches d'itinéraires techniques par essence

    Le projet ENRICHIRR s'est justement intéressé à la question des enrichissements dont il a tiré un guide technique dédié aux peuplements gérés en futaie irrégulière ou mélangée à couvert continu. 

    Brochure « Les enrichissements en sylviculture mélangée à couvert continu – Retours d’expérience de la conception à la réalisation »

    À défaut de solution unique, plusieurs principes semblent désormais faire consensus pour orienter la gestion forestière face au changement climatique : limiter dans la mesure du possible les coupes rases de trop grandes surfaces, maintenir ou introduire une diversité d’essences et de modes de gestion, ou encore favoriser des itinéraires flexibles permettant des ajustements en fonction de l’évolution observée des peuplements et des milieux. La prise de recul régulière (tous les 5-10 ans grâce au diagnostic ou à des inventaires) sur les actions de gestion dans la parcelle est également conseillée pour la mise en œuvre d’une gestion adaptative. La combinaison de ces leviers sylvicoles contribue à renforcer la résilience des forêts, c’est-à-dire leur capacité à absorber les chocs tout en continuant à remplir leurs fonctions.

    La sylviculture irrégulière
    La sylviculture irrégulière, ou sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC), maintient un couvert boisé permanent avec des arbres d’âges et de tailles variés. Le forestier réalise des prélèvements réguliers pour récolter les arbres mûrs, améliorer la qualité des sujets d'avenir et favoriser la régénération naturelle
    Exemple d'un des multiples modes de gestion sylvicole, la sylviculture irrégulière. Crédit : © Eduter-CNPR.
    Exemple d'un des multiples modes de gestion sylvicole, la sylviculture irrégulière.
    Crédit : © Eduter-CNPR.

Mener des expérimentations coordonnées

Malgré les nombreuses données issues de l’observation des forêts existantes, de grandes incertitudes persistent sur le comportement des essences face aux aléas climatiques. Les interactions entre arbres, sols, climat et biodiversité restent complexes et encore mal connues. De plus, les dynamiques forestières s’inscrivent dans des temps longs, ce qui limite la portée des observations récentes. Dans ce contexte, les expérimentations sylvicoles sont indispensables pour tester des pistes concrètes d’adaptation et en évaluer les effets sur le long terme.
De nombreux projets se développent sur le terrain. 

  • Ils portent notamment sur l’introduction d’essences plus tolérantes aux nouvelles conditions climatiques. Le réseau ESPERENSE teste par exemple le comportement d’essences d’avenir, européennes, méditerranéennes ou plus exotiques, dans différentes stations françaises où la survie, la croissance et la qualité des jeunes arbres sont comparées. Ces recherches sont importantes pour dépister les causes potentielles d’échec des introductions, prévenir d’éventuels risques d’invasivité ou l’apparition de déséquilibres écologiques dans les populations autochtones et identifier des espèces prometteuses.

    - Vidéo de présentation du réseau ESPERENSE. «Les trois minutes d'AFORCE»

    - Webinaire «L'expérimentation au service de la forêt de demain : ESPERENSE, du projet au réseau».

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet ESPERENSE.

  • Un autre axe d’expérimentation concerne les provenances, c’est-à-dire l’origine géographique des graines. À essence identique, certaines populations venues de régions plus sèches ou plus chaudes peuvent montrer une meilleure adaptation.

    Le projet RENEssence de l’ONF, en lien avec ESPERENSE, teste ainsi plus de 60 combinaisons essences/provenances dans quatre sites expérimentaux pour tirer partie de la diversité génétique existante au sein de chaque espèce.  

    Parallèlement, le projet GIONO teste la possibilité de migration assistée en déplaçant des essences/ provenances du Sud vers le Nord (en forêt de Verdun), avec également une optique de sauvegarde de ressources rares et déjà en limite d’aire.

  • Les peuplements mélangés font eux aussi l’objet d’essais. Comme mentionné plus tôt, renouveler les peuplements en diversifiant les essences est une recommandation majeure. Mais encore faut-il bien choisir les associations. Le projet CALIFE a permis de mettre en commun à l’échelle nationale la performance de différents mélanges en matière de croissance, de résilience et de biodiversité. Ces essais permettent de vérifier si certaines combinaisons amortissent mieux les effets du stress climatique tout en maintenant la production.

    - Vidéo de présentation du projet CALIFE.

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet CALIFE.

     

Au-delà des thématiques explorées ici, toutes ces expérimentations s’inscrivent sur le temps long. Les premières conclusions ne sont parfois exploitables qu’après plusieurs décennies. Elles exigent des moyens humains et financiers importants. Mais leur intérêt est d’autant plus grand si elles sont coordonnées à grande échelle, avec des dispositifs homogènes et des indicateurs partagés. Cela permet de mieux couvrir la diversité des conditions écologiques, de mutualiser les connaissances et de produire des résultats solides. Dans cette optique, un guide pour harmoniser les pratiques et les terminologies a été rédigé à destination des expérimentateurs forestiers.

 

La gestion adaptative
La gestion adaptative est une approche de la gestion des systèmes naturels en contexte d’incertitude qui s’appuie sur l’apprentissage – qu’il provienne du bon sens, de l’expérience, de l’expérimentation, du suivi… – en ajustant les pratiques en continu. Elle se caractérise par la flexibilité : il n’y a pas de solution unique toute faite. Elle se déroule en plusieurs étapes : définir le contexte et la vulnérabilité, cibler les questions, identifier les risques, établir une stratégie, la mettre en œuvre (itinéraires techniques), effectuer un suivi continu, évaluer les résultats, corriger et définir une nouvelle action de gestion sans attendre d’avoir toutes les réponses. Le processus est itératif, complexe et s’étale sur le long terme. Il met en collaboration les gestionnaires, les chercheurs, les politiques, la société civile. On parle aussi de recherche-action. Philippe Riou-Nivert, Les résineux tome 4 p 458, Institut pour le développement forestier, 2025

 

Améliorer les stratégies de prévention contre les risques

Certains aléas climatiques, une fois déclenchés, sont très difficiles à contrôler. D’où l’importance de les anticiper. La prévention constitue un levier majeur de l’adaptation des forêts au changement climatique. Elle permet de réduire les impacts de plus en plus fréquents des sécheresses, incendies, tempêtes, ravageurs et maladies.
 

  • Pour les risques biotiques, comme les attaques d’insectes ou de champignons pathogènes, il n’existe souvent pas de remède curatif. Une coupe préventive reste alors la meilleure solution pour éviter leur propagation. La lutte biologique, en introduisant des prédateurs naturels, est aussi explorée dans certains cas[2], par exemple contre les processionnaires ou les scolytes. Face aux grands ongulés, la régénération naturelle est désormais régulièrement compromise. Il est alors crucial d’évaluer la pression exercée localement et d’adapter les plans de chasse ou de protéger les jeunes plants.

    Enrichissement en Douglas accompagnée de Houx et de Fougère aigle afin de limiter l'accès des cervidés. Crédit : Loïc Molines © CNPF
    Enrichissement en Douglas accompagnée de Houx et de Fougère aigle afin de limiter l'accès des cervidés.
    Crédit : Loïc Molines © CNPF.

    Pour en savoir plus

    [2] BRINQUIN, Anne-Sophie, BAILLY, Christophe, MARTIN, Jean-Claude, SCHMUCK, Hubert. La processionnaire du chêne : mieux la connaître pour mieux s’en protéger. A destination du grand public. INRAE/ONF. Avril 2020.

  • Du côté des risques abiotiques, la prévention passe par l’aménagement. Le projet SYLVEAU recommande par exemple d’adapter la densité des peuplements pour maintenir une réserve utile en eau suffisante en période de sécheresse.

    - Vidéo de présentation du projet SYLVEAU.

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet SYLVEAU.

     

    Contre les incendies, les travaux du projet VULNEFEU[3] montrent que l’exposition des peuplements, leur composition et leur structure influencent fortement leur vulnérabilité.

    Description de la manière dont les caractéristiques associées à l'évitement, à la résistance et à la tolérance au feu agissent dans le temps et les échelles (partie de la plante, individu, population ou paysage) pour filtrer les communautés végétales. Adaptation de la figure d'Archibald et al., 2019. Crédit : Camille Revertegat © Inrae.
    Description de la manière dont les caractéristiques associées à l'évitement, à la résistance et à la tolérance au feu agissent dans le temps et les échelles (partie de la plante, individu, population ou paysage) pour filtrer les communautés végétales. Adaptation de la figure d'Archibald et al., 2019.
    Crédit : Camille Revertegat © Inrae.
    Zoom sur l'image

    - Vidéo de présentation du projet VULNEFEU.

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet VULNEFEU.

     

    Le projet GECOVI explore quand à lui les stratégies de débroussaillement pour limiter la propagation des feux et préserver une partie du massif en cas d'incendie. Cette prévention implique aussi les citoyens : 9 feux sur 10 sont d'origine humaine.

    - Vidéo de présentation du projet GECOVI.

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet GECOVI.

     

    Les tempêtes nécessitent également une gestion attentive. Adapter la hauteur des arbres, éviter des éclaircies trop tardives, trop brutales ou trop espacées dans le temps permet de renforcer la stabilité des arbres et des peuplements.

    Enfin, les sols méritent une vigilance accrue[4]. Le tassement provoqué par les engins forestiers diminue leur porosité, entravant les échanges d’eau et de gaz. Selon les situations, des prélèvements intensifs de bois peuvent réduire leur fertilité. L’érosion, enfin, fragilise les pentes, les rives et les zones exposées au vent ou aux avalanches. Préserver la couverture végétale, même partielle, est un moyen efficace de limiter ces processus.

    Pour en savoir plus

    [3] Dupuy, Sylvain Dupire,Marion Toutchkov, Julien Ruffault, Philippe Deuffic, Bernard Boutte,François Pimont, Synthèse sur la vulnérabilité des peuplements forestiers au feu, RMT Aforce, 2025

    [4] https://observatoire.foret.gouv.fr/themes/les-enjeux-associes-aux-sols-forestiers

     

  • Bien que de nombreuses stratégies de prévention contre les risques forestiers reposent sur des actions techniques, leur efficacité dépend en grande partie de l'organisation et de la coordination des différents acteurs impliqués. La gestion des forêts face aux risques climatiques et écologiques nécessite une approche collective, où les connaissances et les ressources sont partagées pour optimiser les résultats. La coopération entre gestionnaires, chercheurs, pouvoirs publics et citoyens permet de renforcer les actions préventives, de mieux répondre aux défis et de garantir la résilience des écosystèmes forestiers face aux aléas.

    La prévention est un des principaux leviers d'adaptation. Crédit : CISyFE © ONF.
    La prévention est un des principaux leviers d'adaptation.
    Crédit : CISyFE © ONF.
    Zoom sur l'image

S’adapter, un processus complexe

Comme on l’a vu, l’adaptation des forêts au changement climatique ne se résume pas à une série d’actions simples ou immédiates. C’est un processus complexe, qui nécessite de prendre en compte une multitude d’acteurs et de facteurs écologiques, économiques et sociaux. Les défis sont donc nombreux à relever pour en assurer le succès de l’adaptation.

  • Sur le plan de la recherche, outre le besoin toujours plus important de connaissance sur le milieu forestier, les interactions entre les aléas  et leurs effets cumulés ou en cascade sont encore peu documentées et les conséquences à long terme de nouveaux itinéraires sylvicoles sur la résilience des forêts et sur la dynamique de la biodiversité nécessitent encore des expérimentations coordonnées. Mais d’importants enjeux de recherche portent également sur la manière d’organiser l’action collective pour favoriser la résilience des forêts et des systèmes humains qui en dépendent, tout comme sur les conditions permettant un apprentissage collectif et le développement plus global d’une compétence collective pour faire face au changement climatique. On peut, à ce titre, évoquer le projet C4CHANGE, coordonné par Inrae. Celui-ci a permis d’identifier de nouveaux besoins de recherche pour la planification forestière en contexte de grands défis, d’une part, et développer une méthodologie de planification forestière innovante en utilisant la forêt domaniale de Compiègne comme "Living Lab" pour impliquer tous les acteurs concernés dans la définition de stratégies de gestion adaptées, d’autre part.

    Tournée de terrain en forêt domaniale de Compiègne le 31 octobre 2024 dans le cadre du projet C4CHANGE. Crédit : © CNPF.
    Tournée de terrain en forêt domaniale de Compiègne le 31 octobre 2024 dans le cadre du projet C4CHANGE.
    Crédit : © CNPF.

    - Vidéo de présentation du projet C4CHANGE.

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet C4CHANGE.

  • Du côté des gestionnaires et des propriétaires, le défi principal réside dans la mise en œuvre de ces connaissances au niveau local. Mais les incertitudes des modèles climatiques et des prévisions concernant notamment les bioagresseurs compliquent la planification des actions sur plusieurs décennies et peuvent créer une forme de paralysie décisionnelle. Ils doivent choisir des essences et des provenances adaptées, parfois peu disponibles sur le marché, et ajuster leurs pratiques sylvicoles au sein d’un parcellaire morcelé, sans toujours disposer de financements suffisants. L’acceptation des pertes potentielles de rendement et de revenus reste d’ailleurs une question centrale pour des propriétaires souhaitant rentabiliser un minimum leurs investissements. Les conditions de travail dans les métiers forestiers, souvent dangereux, pénibles et mal rémunérés, sont un autre facteur limitant car ils entraînent des pénuries de personnel. Enfin, le renforcement des formations et la diffusion d’outils simples d’aide à la décision restent indispensables pour transformer ces défis en opportunités concrètes.  

    Afin de renforcer la coopération entre acteurs, clé de voûte de l’adaptation, le RMT AFORCE a notamment lancé l’initiative COLIBRI. Un projet qui étudie comment concevoir et améliorer les outils d’aide à la décision pour les gestionnaires.

    Retrouvez plus d'informations sur notre page projet COLIBRI.

  • Pour les décideurs, l’enjeu porte sur la coordination des politiques publiques et la mobilisation des moyens. Les spécialistes de l’adaptation des forêts étant en nombre limité, ils font face à une sur-sollicitation qui entraîne un allongement des délais pour traiter tous les dossiers sur le sujet. Le manque de connaissance sociologique est également un obstacle important : les freins culturels et organisationnels sont souvent mal identifiés et non pris en compte. Par ailleurs, les politiques de restauration des écosystèmes forestiers mises en place par le passé ne sont pas toujours en adéquation avec les besoins actuels d’adaptation des forêts au changement climatique. 

L’adaptation des forêts est donc un processus complexe, mais fertile en innovations et en apprentissages partagés. C’est en multipliant les coopérations, en valorisant les retours d’expérience et en articulant étroitement recherche, gestion et décision politique que nous parviendrons à transformer les défis en véritables leviers d’avenir pour nos forêts.

Bibliographie

  • Les écosystèmes forestiers, Efese, 2018
  • Objectif forêt, Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, 2023
  • L’ arbre et la forêt à l’épreuve d’un climat qui change, Onerc, 2015
  • Camille Revertegat, Eric Rigolot, Jean-Luc Dupuy, Sylvain Dupire,Marion Toutchkov, Julien Ruffault, Philippe Deuffic, Bernard Boutte,François Pimont, Synthèse sur la vulnérabilité des peuplements forestiers au feu, RMT Aforce, 2025
  • Bréda, N., Huc, R., Granier, A., & Dreyer, E. (2006). Temperate forest trees and stands under severe drought: a review of ecophysiological responses, adaptation processes and long-term consequences. Annals of Forest Science, 63(6), 625-644. doi: 10.1051/forest:2006042
  • Catherine C. Collet, Céline Perrier, Olivier Baubet, Vincent Boulanger, Bernard Boutte, et al.. Renouvellement des peuplements forestiers en contexte de changement global: opportunités et difficultés. Séminaire de restitution de l’expertise collective “ Expertise CRREF– Coupes Rases et REnouvellement des peuplements Forestiers en contexte de changement climatique ”, GIP Ecofor, Nov 2022, Paris, France. pp.1-38. hal-04223378
  • Vulnérabilité et adaptation des habitats forestiers au changement climatique, Guide méthodologique, CNPF, 2024
  • Rita Sousa-Silva, Bruno Verbist, Ângela Lomba, Peter Valent, Monika Suškevičs, Olivier Picard, Marjanke A. Hoogstra-Klein, Vasile-Cosmin Cosofret, Laura Bouriaud, Quentin Ponette, Kris Verheyen, Bart Muys, Adapting forest management to climate change in Europe: Linking perceptions to adaptive responses, Forest Policy and Economics, 2018
  • BRINQUIN, Anne-Sophie, BAILLY, Christophe, MARTIN, Jean-Claude, SCHMUCK, Hubert. La processionnaire du chêne : mieux la connaître pour mieux s’en protéger. A destination du grand public. INRAE/ONF. Avril 2020.
  • Coralie DE ROO (CNPF Occitanie), Mickaël ELVIRA (ONF), Loïc MOLINES (CNPF Occitanie), Les enrichissements en sylviculture mélangée à couvert continu, Retours d'expérience de la conception à la réalisation, 2024
  • ROSA J., RIOU-NIVERT Ph. & PAILLASSA E., 2011. Guide de l'expérimentation forestière. Principe de base - Prise en compte du changement climatique. RMT AFORCE, 224 page
  • Conseils d’utilisation des ressources forestières, Inrae

Interviews

  • ULRICH Erwin, ONF 
  • François MORNEAU, CNPF
  • Catherine Collet, Inrae
  • Anne-Pernelle Duc, CNPF
  • Eric Rigolot, Inrae
  • Benjamin Cano, CNPF
  • Brigitte Musch, ONF
  • Eric Paillassa, CNPF
  • Tammouz Enaut Helou, Coopératives
  • Jordan Bello, ONF
  • Elodie Brahic, Inrae
  • Manuel Nicolas, ONF 
  • Philippe Riou-Nivert, spécialiste des résineux, ingénieur CNPF à la retraite
  • Claire Bastick, IGN 
  • Frédéric Bonin, C4Change
     

Description et crédits de l'image d'en tête : Site expérimental OPTMix. Dendromètre automatique permettant de mesurer toutes les demi-heures la circonférence. Florent Gallois © CNPF